L’histoire de l’habitation Néron couvre près de trois siècles et révèle l’évolution singulière d’un domaine qui a marqué la région. Tout commence en 1742, lorsque Pierre Néron Beauclaire s’installe sur le site avec son épouse, l’une des petites-filles du premier propriétaire connu, Denis Classe, établi en 1732. Dès lors, l’habitation entre dans une dynamique familiale qui façonnera durablement son destin.
En 1769, la fille de Pierre Néron Beauclaire et son époux prennent la direction de l’exploitation. Il s’agit alors d’une sucrerie fonctionnant grâce à un nombre important d’esclaves ; aucun moulin à vent n’équipe encore le domaine. L’habitation restera aux mains de la famille Néron Beauclaire et de ses ayants droit jusqu’en 1859, année où la succession doit être réglée.
Un recensement de 1852 témoigne de l’activité intense du lieu : 72 personnes vivent alors à Néron, dont 50 travailleurs. En 1861, la propriété s’étend sur 160 hectares, produit environ 50 tonnes de sucre et fait appel à une main-d’œuvre venue d’Inde, illustrant les transformations du travail après l’abolition de l’esclavage.
Entre 1859 et 1912, l’habitation change plusieurs fois de propriétaires, reflet d’une période d’instabilité économique. Le début de l’industrialisation de la filière canne et la crise du sucre, accentuée par l’essor du sucre de betterave sur le marché européen, bouleversent le paysage agricole et fragilisent les exploitations traditionnelles.
Un tournant majeur survient en 1912 lorsque Antonin Louis Laprime transforme l’habitation sucrerie en distillerie. C’est la naissance du rhum Néron, rapidement considéré comme l’un des meilleurs de l’île. La famille Beuzelin s’emploiera à développer et à maintenir cette production jusqu’en 1966. Mais la concentration des unités de fabrication vers des structures plus modernes finit par entraîner la fermeture de la distillerie familiale. Les Beuzelin demeurent propriétaires du site jusqu’en 1991.
Cette année-là, le Conseil départemental et la ville du Moule choisissent d’intégrer l’habitation Néron au patrimoine guadeloupéen. Ce lieu, témoin précieux d’une histoire coloniale complexe, continue aujourd’hui encore de révéler les secrets de son passé.

